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  • Marc Falvo

Chris Anthem, vu par David Didelot !

Rédacteur en chef du fanzine Vidéotopsie, auteur de "Gore, Dissection d'une Collection" aux éditions Artus Films et de deux romans d'horreur chez Zone 52, David Didelot cumule les casquettes. Ce qui reste bien pratique pour contenir sa cascadante chevelure...


Excellente nouvelle, il a lu - et aimé ! - les deux premiers volumes de notre toute jeune collection Chris Anthem. Voici son avis :


Qui n'a jamais commis une faute de frappe ? Personne. Mais qui connaît vraiment les éditions Faute de frappe ? Trop peu sans doute, et c'est bien malheureux. Mais tel est le destin des éditeurs indépendants, et Marc Falvo en est l'un des plus beaux exemples. Editeur nordiste d'abord (basé à Lille), et auteur chevronné pour le coup : "après […] vingt romans publiés, il a décidé de s'écarter des modèles trop établis. Privilégier sa liberté - certains diront misanthropie - en créant les éditions Faute de frappe. Depuis, il dort mieux. Faute de frappe est une structure indépendante à l'ancrage local. Nous privilégions les circuits courts - en librairie et sur notre boutique - et une juste rémunération des différents acteurs de la chaîne du livre. Et si en plus, on peut y prendre plaisir, on ne s'en privera pas..." (sur le site de l'éditeur, qu'on ira visiter ici : https://www.editionsfautedefrappe.fr/). Prendre du plaisir certes, mais en donner aussi, car on est venu pour ça et on ne le regrettera pas.

La mue commence donc en 2019, quand Marc endosse la double casquette d'auteur/éditeur : pour ses propres œuvres bien sûr mais aussi celles des autres. Son catalogue est déjà important mine de rien, réunissant thrillers, polars et aventure, en sus d'un peu de fantastique : dans son inventaire, la petite collection Quai des Cauchemars me fait déjà de l'œil (même si destinée aux plus jeunes), que j'irai fouiller quand le temps me sera donné. A moi Le Monstre du terril d'Hervé Hernu, et à moi Le Cinéma hanté du Belge Frédéric Livyns. Nous en reparlerons.

Mais l'actualité se peint aussi en rouge et noir (!) chez Faute de frappe, puisque l'ami Falvo déciderait vite de cultiver les champs de l'horreur pure… Alléluia ! Nous avions déjà la Collection Karnage, les Suisses de Gore des Alpes, la douleur angevine des Editions Trash (trop tôt disparues), la Maison (québécoise) des Viscères, la Collection Noire de Rivière Blanche et voici qu'en janvier 2022 déboulera la série Chris Anthem. Que demandent les monstres ? Pas grand-chose de plus, tant nous sommes gâtés en tripes fumantes et en humeurs noires ces derniers temps… Les Collections Gore et Angoisse ont fait des petits, qui n'ont plus rien à envier aux aïeux.

Les deux premiers volumes de l'inventaire s'intitulent donc Abymes et Cavaliers de l'orage, paraphés… Chris Anthem. Oui, ça fleure bon le pseudo mais après deux ou trois clics, on démasquera vite le coupable : Marc Falvo lui-même, qui commit avant cela quelques forfaits sous le même nom (Terreur Terminus en 2017, chez L'Atelier Mosésu) ou emprunta celui de Bob Slasher pour un incitatif Bloody Glove (en 2016, chez le même éditeur). Avec alias pareil, le gars est forcément bon citoyen, surtout qu'il ne dédaigne pas rendre hommage au cinéma qu'il aime - et qu'on aime - dans sa littérature. Tout pour plaire quoi.

Et tout pour plaire dans la forme également : la nouvelle collection adopte le format semi-poche, sans chichis en vitrine (titraille nette sur fond noir) ni densité excessive (environ 170 pages par récit). Prix de vente relativement chiche de surcroît : 12,90 euros le volume. Et puis le "nom" de l'auteur/éditeur pour titre de collection, ça pose son bouquin quand même, au point de se croire chez Gérard de Villiers… On souhaite à Marc Falvo la même endurance.


Abymes ouvre donc le feu, et c'est encore l'auteur qui en parle le mieux : "c'est le premier roman que j'ai écrit suite à la naissance de ma fille en 2020, une preuve que la paternité ne rend pas toujours plus sage ni plus mature". Nous confirmons… mais pour le meilleur. D'autant qu'Abymes est tout le contraire d'une petite chose immature, et tout l'inverse d'un petit caprice de "fan" : écrit à la deuxième personne, le récit narre l'odyssée express et nocturne d'une jeune femme en pleine période Covid. Son nom est Axelle Mann (clin d'œil à l'Axelman de la Collection Gore, ou homonymie fortuite ?), et la donzelle traverse les vilénies d'un monde masqué (au sens propre) avant de sombrer dans l'abîme : tentative de viol dans le métro, séquestration chez un pervers sexuel, traversée des banlieues grises et déambulations paranos dans un univers hygiéniste autant que vermineux… Jusqu'à ce qu'Axelle fasse sa mue et assassine ceux qui l'ont emmerdée (un serrurier concupiscent, une fonctionnaire faignasse, une petite racaille, un voisin trop curieux et puis son… mais j'en dis trop).

Le roman prend alors des airs dépressifs et horrifiques, qui dessine cette image d'assassin malheureux - agissant plus par colère que par vice. Rien ne nous est épargné dans Abymes, de la commission des crimes jusqu'à la décomposition des corps, mais l'on compatit aux états d'âme du monstre : "une habituée de la loose" comme il est dit, héroïne cassée par la vie, méprisée par sa famille et percluse de rancœurs. "En punir un pour en éduquer dix. En punir cent pour les éduquer tous" : telle est bien la sentence gravée au front d'Axelle Mann, seul personnage bien vivant au milieu d'un monde déshumanisé. Combien d'épisodes sis dans les transports en commun, véritables jauges d'une société zombifiée, et combien de moments d'incommunicabilité pure entre les êtres… Oui, Abymes ne pense jamais printemps et dresse un tableau désespérant de nos congénères, qui dépasse largement le feel good novel du rayon gore. L'histoire se terminera en holocauste, syndrome de la tabula rasa et de l'apocalypse rédempteur… A moins que tout cela ne soit fantasme libératoire ? Peu importe : on ne remonte pas indemne de ces Abymes, comme on ne sortira pas guilleret des Cavaliers de l'orage.


Mais le cas est un peu différent pour le coup : Cavaliers de l'orage est une réédition, roman déjà publié en 2016 chez L'Atelier Mosésu, dans la Collection Slash. Mais l'éditeur ayant fait faillite, il était de bonne action d'en remettre un coup. Notons que Terreur Terminus subira bientôt le même joli sort, prévu au catalogue Chris Anthem dans un avenir proche.

Plus classique qu'Abymes dans sa narration et dans ses motifs, Cavaliers de l'orage se dévore comme une Madeleine de Proust : roman référentiel s'il en est, plein de souvenirs ciné et de remembrances littéraires. Le lecteur navigue ici dans les espaces du slasher routier, et dans ces lieux ordinaires hantés par quelque tueur maboul (qui rappellent une "auberge rouge" à la Eaten Alive, à la Calvaire ou même à la Psychose - marais inclus). On parle ici d'un certain Malone, douanier reconverti restaurateur qui perdit son boulot suite à l'ouverture des frontières européennes : un flingueur de mauvais citoyens et un contempteur de ce Nouveau Monde irénique. C'est un fait : Marc Falvo aime inscrire l'horreur dans la plus brûlante des actualités (crise du Covid ou crise migratoire), sans caricaturer pour autant les options politiques des "méchants" et des "gentils"… s'il y a des "gentils".

Mais nous ne sommes pas là pour discuter idéologie de l'U.E. et options sociétales de chacun. D'autant que le récit ménage une double intrigue qui prend à la gorge et ne vous lâche pas : d'un côté les crimes "politiques" de Malone - justicier obsédé par le délabrement du Monde et la bienveillance naïve de ses semblables -, et de l'autre ce trio de routards assassinant les épaves crasseuses de notre monde. Deux lesbiennes sadiques et Vincent, tueur nécrophile. Voilà pour les personnages principaux, ces "cavaliers de l'orage" placés en titre. Bien sûr, ledit Vincent et ses compagnonnes finiront par rencontrer Malone, et l'on s'acheminera alors vers un dénouement sans nuances de nuances… dans la communion la plus cruelle des esprits malades.

Cavaliers de l'orage renoue clairement avec le gore de la collection éponyme : sanglant sans état d'âme, voire proprement dégueulasse (exécutions à l'acide, à la hache, au marteau, à la bagnole…), et même pornographique par endroits. Mais l'auteur y ajoute un vrai supplément d'âme et un dessin plus fin dans l'écriture de ses personnages, au point qu'on peut y voir une véritable autopsie de l'âme criminelle : la tuerie pour le plaisir mariée à la tuerie rédemptrice, et les affinités non électives de psychés complètement déglinguées. De là ces portraits croisés d'assassins, aussi différents que soigneusement croqués.

Un thriller de haute tenue pour résumer, dont le dénouement fait froid dans le dos et qui annonce le meilleur pour la suite de la collection.




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